Une révolution verte, la clé d'un monde futur apaisé
L’écologie est aujourd’hui très présente dans l’esprit de chacun, notamment les plus jeunes qui basculent parfois dans le « no future », comme dans les programmes politiques. On en parle beaucoup, on agit moins…
En outre, si on a fini par admettre les périls du changement climatique et la nécessité d’agir vite et fort en limitant les émissions de gaz à effet de serre, on omet ou on minore les risques tout aussi considérables, pour la planète comme pour notre santé, d’autres dérapages préoccupants : la pollution galopante de l’air, des eaux et de la terre ; l’incapacité à traiter nos déchets en allant vers une « économie circulaire » ; la mauvaise gestion de l’eau (qui devient une ressource rare) et la désertification progressive de régions entières ; le gaspillage des ressources minérales ; plus grave encore, la destruction de la biodiversité, avec l’extinction de plus en plus rapide de tant d’espèces vivantes.
L’effet cumulatif de ces problèmes est tel que la vie sur notre planète en est bouleversée ; pour certains savants, nous sommes entrés dans une nouvelle ère géologique, « l’anthropocène », qui voit notre Terre devenir peu à peu inhabitable.
Remédier à ces problèmes si longtemps négligés ne se fera pas sans un effort colossal, qu’on peut estimer à 4 - 5 % du PIB mondial annuel pendant des décennies – une véritable révolution dans le fonctionnement de nos économies comme dans le mode de vie de tous. Il faut arrêter les discours berceurs qui promettent pour les uns de réussir par degrés, de façon presque insensible et sans rien changer de substantiel au fonctionnement de nos économies, et pour les autres de demander tous les efforts aux entreprises et aux « nantis » - qu’il s’agisse des pays ou des classes sociales les plus riches. La réalité est que la situation nécessite à la fois de changer les règles de nos économies et de demander un effort à chacun dans son domaine, fût-il modeste.
Que faire ? Les solutions concernent, au premier chef, les États, mais aussi les entreprises et les particuliers. Elles impliquent de mobiliser les trois instruments économiques principaux utilisables :
- les normes, mécanisme contraignant, sont parfois nécessaires pour obtenir un changement des comportements ; on peut prendre pour exemple la réglementation de la pollution chimique des « usines Seveso » ou les normes européennes CAFE (Corporate Average Fuel Economy) réduisant progressivement les émissions de C0² par kilomètre parcouru ou la création de « zones zéro émissions » dans les villes ou les obligations de reconstitution des haies et zones humides imposées par la politique agricole commune (PAC), la création d’espaces protégés, l’interdiction de la « surpêche », etc. ;
- les taxes écologiques, mode de contrainte moins brutal, passent par l’incitation financière. Cela va de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) aux multiples taxes favorisant le recyclage des produits et surtout à la fameuse « taxe carbone », qui vise à décourager l’utilisation des énergies fossiles (charbon, pétrole…). Elles sont décriées comme tous les impôts, mais il peut y avoir des exonérations pour les petits consommateurs ou des « taxes à l’envers », c’est à dire des subventions visant, par exemple, à encourager l’utilisation de produits bio ou de véhicules électriques ;
- les prix sont l’instrument le plus souple, très efficace dans nos économies de marché ouvertes. Le premier impératif dans ce domaine est de laisser jouer les prix de l’énergie lorsqu’ils s’orientent spontanément à la hausse, alors que des centaines de milliards de dollars sont consacrés à travers le monde à les subventionner au nom de la protection du pouvoir d’achat (1), en oubliant que les plus aisés, consommant davantage, sont les principaux bénéficiaires de ces mesures qui se croient sociales. Un instrument important aussi est le développement des bourses d’échange des droits à polluer ; le modèle le plus achevé est l’« ETS » européen (European Trade Scheme) (2), mais on en compte maintenant dans une quarantaine d’États.
Les pistes sont donc tracées. On peut cependant, à juste titre, s’inquiéter lorsqu’on constate qu’un retour en arrière se dessine, dans l’opinion comme dans les politiques suivies, au moment où il s’agit « d’entrer dans le dur », c’est à dire de mettre effectivement en place les moyens d’atteindre les grands objectifs annoncés. Certes, des progrès considérables ont été accomplis, notamment dans le cadre du protocole de Kyoto en 1997 puis de l’accord de Paris en 2015, avec l’adhésion de la grande majorité des États à des engagements chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre – moyennant toutefois un grand décalage dans les engagements des pays en développement (3) (rappelons que la Chine est désormais, de loin, le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre, avec 31 % du total mondial). L’Union européenne est en pointe sur ces sujets, avec son Plan vert fixant un objectif de « neutralité carbone » en 2050 et imposant notamment le passage au 100 % électrique pour les voitures neuves dès 2035. La lutte pour protéger la biodiversité est moins avancée mais les principes sont posés par de grands accords internationaux comme la Convention sur la diversité biologique.
Cependant, les « climato-sceptiques » n’ont pas désarmé, s’appuyant sur de fausses vérités scientifiques et des « théories du complot » ; les sondages montrent une lassitude croissante de l’opinion ; sur le plan politique, la plupart des intervenants, à commencer par les « Verts », rejettent une « écologie punitive » et pensent qu’il est possible de réussir en demandant tous les efforts à quelques privilégiés et aucun à la population laborieuse - c’est s’illusionner ; au Parlement européen, le principal parti (le PPE) multiplie, comme la majorité des chefs de gouvernement, les appels au freinage des mesures écologiques ; aux États-Unis, la moitié de l’électorat rêve de démanteler les mesures de protection de la nature ; si en Chine les progrès sont spectaculaires, la plupart des pays du Sud s’estiment, bien à tort, peu concernés et font peu d’efforts (4).
En France, la crise des gilets jaunes (5) a marqué un arrêt brutal des tentatives pour facturer le vrai prix du carbone ; les constructeurs automobiles européens, après avoir entrepris une vaste reconversion à l’électrique, font campagne (sauf Stellantis) pour reporter leurs engagements ; la rénovation thermique des bâtiments piétine ; etc.
La réalité apparaît aujourd’hui : chacun est prêt à consentir des efforts pour protéger l’environnement – à condition que ces efforts soient peu coûteux (6), et surtout que les sacrifices soient pour les autres… Le slogan inepte « la fin du mois avant la fin du monde » fait florès. Chaque citoyen, chaque branche d’activité, chaque pays pense que son cas est particulier, que sa contribution au problème est au demeurant négligeable, et que c’est aux autres d’agir…
En outre, en France les caisses sont vides alors qu‘il faudrait financer des investissements verts cruciaux tout en renforçant l’éducation, la santé, la sécurité et la défense nationale. Dans cette ambiance, on souhaite bon courage au ministre de l’Écologie de notre nouveau gouvernement !
Chaque jour qui passe souligne pourtant la nécessité impérieuse et l’urgence d’une véritable « Révolution verte » pour réussir à sauver durablement notre planète. Il faut cesser de se nourrir d’illusions : ce changement de modèle ne réussira pas sans des changements significatifs du mode de vie de chacun, où qu’il se trouve. Peu de responsables politiques ont la franchise de le dire.
Mais les voies du succès sont présentes, si nous savons les utiliser en les combinant : tout ne peut pas venir des taxations ni des régulations ni des incitations ni de la bonne volonté des individus ni des innovations, si indispensables qu’elles soient. Parvenir à réussir cette combinaison, ce « policy mix » d’un nouveau type, est la seule manière d’espérer faire de la révolution verte, au-delà d’un impératif incontournable, la clef d’un monde futur apaisé, à la fois plus viable et plus vivable, et au total plus humain.
Philippe Jurgensen, inspecteur général des Finances honoraire, vice-président d’ARRI
(1) Il faut déplorer à cet égard les 80 milliards d’euros dépensés en France en 2022/23, selon la Cour des comptes, pour plafonner les prix de l’électricité, du gaz et des carburants, empêchant les incitations favorables à l’environnement de jouer tout en creusant encore la dette nationale. La situation est pire dans nombre de pays en développement, qui consacrent en permanence de lourds budgets - parfois supérieurs à ceux de l’éducation et de la santé réunis - à subventionner les carburants, alors que la plupart de la population n’en bénéficiera pas, faute de moyens de transport et de climatiseurs.
(2) ETS : European Trading Scheme, où s’échangent des crédits carbone » à un prix qui avoisine actuellement 100 € la tonne de CO².
(3) Ainsi, la Chine ne vise la neutralité carbone que pour 2060, et l’Inde pour 2070… La part de l’ensemble des pays en développement dans le total des émissions mondiales est pourtant désormais supérieure à 60 %.
(4) Ces pays invoquent (à juste titre) le lourd héritage de pollution des pays avancés, mais refusent de voir que leur part dans la plupart des problèmes est désormais majoritaire et que rien ne pourra se faire sans eux.
(5) Les manifestations violentes de 2018-19 ont abouti au gel de l’augmentation programmée de la taxe carbone incorporée dans le prix des carburants (essence et diesel). Quatre ans plus tôt, ce sont les « bonnets rouges » bretons qui avaient obtenu le retrait des péages visant à faire supporter aux camions le vrai coût de la détérioration des routes et de la pollution de l’environnement causées par les transports routiers lourds.
(6) Certains pensent que le progrès technique - par exemple, le stockage du carbone, véritable « baguette magique » - résoudra tous les problèmes. Sa contribution sera certes importante, mais la révolution verte ne pourra se faire sans rien sacrifier de substantiel de notre mode de vie.
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