Elargissement et Union européenne
Faut-il, à quelles conditions et dans quelle mesure, élargir l’Union européenne ?
C’est à cette question, déjà posée à plusieurs reprises, que nous sommes confrontés à nouveau par l’invasion russe en Ukraine. Une partie de la question avait, en effet, été résolue par la création d’un tampon entre l’Union européenne et la Russie à la suite de l’écroulement de l’empire contrôlé par l’Union soviétique. Si les Républiques baltes avaient été intégrées, ainsi que la majeure partie des États d’Europe de l’Est, l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie étaient restées à la porte de l’Union, ainsi que, pour des raisons liées à leur instabilité économique et politique, une partie des États balkaniques.
Quelles que soient les difficultés que peut parfois présenter l’intégration de certains des États entrés dans l’Union lors de l’élargissement des années 2000, au plan politique (Pologne, Hongrie, Slovaquie), ou économique (Roumanie, Bulgarie), la comparaison de leur État économique et politique par rapport aux États restés en dehors de l’Union montre les progrès réalisés. D’autre part, les difficultés politiques rencontrées ne sont pas l’apanage des États ayant connu la dictature communiste et les résurgences nationalistes, au détriment de l’intégration européenne, se manifestent aussi dans d’autres pays, que l’on songe à l’Italie actuelle, ou bien sûr au Royaume-Uni qui est allé jusqu’à quitter l’Union.
La dérive autoritaire de la Russie et les difficultés économiques qu’elle rencontre en ont progressivement fait un contre-modèle pour les États tampons qui ont manifesté à plusieurs reprises leur désir de rejoindre le modèle de l’Union. La réaction russe et la contre-réaction occidentale posent désormais de manière précise la question de leur intégration future et a relancé dans le même temps le processus d’adhésion des États des Balkans.
Il reste que la gouvernance d’Union, qui fonctionne déjà difficilement à vingt-sept, ne peut être maintenue dans une Union élargie et que l’élargissement est un levier politique pour remettre sur le métier la question, complexe, des règles de gouvernance commune.
Les chefs d'État et de gouvernement se retrouvent cette semaine, les 5 et 6 octobre, pour un double rendez-vous à Grenade : d'abord le sommet de la Communauté politique européenne, ensuite un Conseil européen informel. C'est au cours de cette seconde réunion que sera abordée le futur d’une Union élargie aux pays des Balkans occidentaux, à l'Ukraine, à la Moldavie et peut-être à la Géorgie, l'objectif du président du Conseil européen, Charles Michel, étant de faire adopter un nouvel « agenda stratégique » pour la législature 2024-29 avant les élections européennes de juin prochain.
C’est le cinquième chapitre du projet de déclaration consacré à l’élargissement qui sera discuté. Cependant, l’aboutissement de cette discussion n’est pas certain. Les positions des États membres sont divergentes, et surtout la volonté de procéder à un tel remaniement institutionnel n’est pas unanimement partagée. Aussi, plusieurs solutions alternatives sont-elles envisageables. Ainsi le traité de Lisbonne permet-il de faire face dans une certaine mesure à de futurs élargissements. Par exemple, le traité actuel prévoit-il la possibilité de réduire le nombre de commissaires à deux tiers du nombre d'États membres, si le Conseil européen le décide à l'unanimité ? L’art. 48 (7) du traité permet au Conseil européen de passer de l’unanimité à la majorité qualifiée (clause passerelle) dans la plupart des domaines et l’art. 31 (3) en matière de politique étrangère et de sécurité.
Au sein du Parlement européen, lors de la réallocation des sièges du Royaume-Uni, 31 des 73 sièges vacants ont été réservés pour un futur élargissement. Pour procéder à l’intégration de l’Ukraine, une bonne cinquantaine de sièges serait nécessaire, mais une réduction du nombre de sièges attribués à chaque pays permettrait là encore d’éviter une révision du traité (cf. art. 14 (2) du traité).
Une autre solution consisterait dans la mise en place d’une Europe à plusieurs vitesses qui verrait coexister une Union intégrée prête à renforcer le principe du vote à la majorité sur les domaines étendus avec les pays souhaitant conserver l’Union dans son état actuel, certains préférant rester en dehors de la zone euro.
Un troisième cercle permettrait d’étendre le seul marché unique, en l’ouvrant à des États répondant à certaines exigences économiques, sociales et environnementales, tandis que serait pérennisée la Communauté politique européenne pour les États restés en-deçà de ces conditions. C’est la ligne défendue par le rapport Costa/Schwarzer suscité par la France et l’Allemagne et présenté le 19 septembre dernier.
Il n’est pas certain que les revers essuyés par la Communauté politique européenne dans des dossiers tels que celui du Haut-Karabakh ou celui du Kosovo ou encore le conflit persistant avec la Turquie sur la question de l’adhésion de la Suède à l’OTAN ne présente cette dernière solution sous un jour très favorable.
Le prochain voyage organisé par ARRI à Madrid au mois d’octobre permettra de revenir sur ces questions dans une Espagne qui assure actuellement la présidence du conseil de l’Union.
David Capitant, président d’ARRI
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