La France et l'Indopacifique
Par Hélène Mazeran, présidente de l'Institut du Pacifique.
Quelques repères concernant la France en introduction :
• Membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et signataire de la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer elle est donc attachée à la liberté de navigation et au respect du droit international ;
• La France et les États-Unis sont les seuls États à exercer leur souveraineté sur des territoires insulaires à plusieurs milliers de kilomètres (Ne sont pas pris en considération les territoires britanniques de Pitcairn et des Chagos car ils ont moins de 100 habitants) ;
• Elle est le seul pays au monde présent sur toutes les mers du globe ;
• Sa zone économique exclusive (ZEE) d’environ 11 millions de km2 est la deuxième au monde par la superficie, dont 2 millions de km2 en océan Indien et 7 en océan Pacifique ;
• La population de citoyens français dans la zone est de 1,6 millions plus environ 300 000 résidents français dans les États riverains ; 7 000 militaires français sont présents en permanence dans la zone ;
• La majorité de nos clients en matière d’armements sont dans cette zone : Moyen-Orient pour environ 45 %, zone Asie pour environ 34 % (avant septembre 2021, donc avec la commande des douze sous-marins par l’Australie) ;
• Elle est membre de plusieurs organisations régionales : Commission de l’océan Indien qu’elle préside en 2021-2022 ; Communauté du Pacifique et Forum du Pacifique sud ; Indian Ocean Naval Symposium dont elle assure la présidence de juin 2021 à juin 2023 ; le 17 décembre 2020, elle a rejoint l’Association des États riverains de l’océan Indien (IORA) qui compte 23 États-membres ;
• Et, élément institutionnel significatif. depuis le 16 septembre 2020, Christophe PENOT est ambassadeur pour la zone indopacifique. Il a pour mission de coordonner l’action de l’ensemble des ministères et agences de l’État, avec l’appui du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), de faire connaître la stratégie française et de participer au suivi de la stratégie européenne pour l’Indopacifique adoptée en septembre 2021.
En 2021 l’actualité a mis un coup de projecteur sur la zone indopacifique avec :
• « L’affaire » de la rupture du contrat des douze sous-marins australiens le 15 septembre 2021 (conclu en 2016).
• Le 3ème référendum en Nouvelle-Calédonie le 12 décembre 2021 et la majorité de « non » à l’indépendance.
I - Tentative de définition de l’Indopacifique et des acteurs : de l’Asie-Pacifique à l’Indopacifique.
Pour la France, l’Indopacifique comprend le littoral des deux océans, et leurs terres adjacentes, ainsi que l’océan Austral. Est ici souligné l’aspect géographique d’un espace allant de Mayotte à Clipperton, mettant l’accent sur les océans.
1 – Au cours du XXème siècle : géographie et géopolitique
• En 1924, définition donnée par Karl Haushofer.
• Lors de la Deuxième Guerre mondiale : rôle majeur du Pacifique à côté de l’Atlantique. D’où la création d’institutions couvrant l’Atlantique (OTAN signé en 1949) et le Pacifique (OTASE signé en 1954) contre le bloc soviétique dans la Guerre froide.
• Dans les années 70-80 : la Guerre Froide et les conflits du Moyen-Orient mettent en évidence la nécessité pour les pays occidentaux d’assurer des routes maritimes libres et ouvertes à l’est et à l’ouest (à noter que sept des dix passages majeurs pour le commerce mondial sont situés dans la zone Océan indien)
2 – Dans les années 2000 : Mondialisation des échanges et acteurs régionaux
Après la chute du bloc soviétique, la zone « Indopacifique » est plutôt centrée sur l’Indonésie et l’Australie, avec le Japon et l’Inde en périphérie. Parallèlement se développent les tensions (liées à la piraterie) et les contentieux (liés au droit de la mer).
Dès 2005, les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde évoquent la nécessité de contenir la Chine dans « l’Arc de la liberté et de la prospérité » au nom des valeurs démocratiques. L’Australie, les États-Unis et le Japon « pressentent » la nécessité « d’encadrer » l’expansionnisme chinois.
Tentative de définition ?
- Si on adopte une vision maximaliste : l’Indopacifique représente 50 % de la surface terrestre (terres émergées et surfaces maritimes) et trois quarts de la population mondiale.
- Définition la plus utilisée : espace situé entre les rives africaines de l’océan Indien et les rives américaines de l’océan Pacifique avec des verrous autour des détroits malais, et aux deux extrémités Panama et Ormuz/Bab el Mandeb/Suez.
En effet, l’axe Djibouti-Colombo-Singapour-Shanghaï constitue une « ligne de communication » (sea lanes of communication) indispensable au fonctionnement de la planète, avec des passages stratégiques d’importance majeure (choke points) mis en évidence par les Occidentaux dans les années 70-80, ceci est encore plus vrai aujourd’hui.
L’expression n’est pas clairement définie, et elle est même niée par la Chine qui se réfère à l’Asie-Pacifique où elle a une position centrale dans la zone, alors que l’Indopacifique place l’Inde au centre et la « relègue » à la périphérie…
La composante terrestre du projet chinois des « routes de la soie » (Belt and Road Initiative, BRI) redonne corps à la centralité du continent eurasiatique et à l’opposition traditionnelle (théorisée par les stratèges du XIXème siècle) de l’empire de la Terre contre celui de la Mer. L’antagonisme actuel entre deux États puissants, les États-Unis et la Chine, serait-il la version modernisée de cette opposition, l’empire de la mer ne pouvant survivre qu’en préservant la liberté de circulation ?
Du fait de la mondialisation des échanges, la grande puissance américaine est très présente. Et encore plus après 2009-2010 : le « pivot asiatique » du président Obama est en fait un élargissement de l’Asie-Pacifique, la zone ira désormais des côtes américaines jusqu’au sous-continent indien. En 2018, l’US PACOM (Pacific Command) est rebaptisé US INDOPACOM. Et l’expression « Indopacifique » est de retour …
En effet, nouveauté des années 2010, surtout après 2013-2015, affirmation de la présence chinoise et de sa volonté de puissance.
3 – La Chine, un nouveau venu dans la zone : expansion maritime et contestation de la liberté des mers
Les sept expéditions de l’amiral Zheng He au XIVème siècle (1405-1433) avaient pour but essentiel de prélever un tribut, ne visaient pas à « coloniser des territoires » ( Ceci est souvent rappelé par Xi Jinping qui sait utiliser l'histoire chinoise à son avantage: il veut montrer que la Chine n'a pas de visée impérialiste). Elles ne furent pas poursuivies dans les siècles suivants par la Chine qui se referme et fait détruire archives et bateaux, témoins des exploits de Zheng He, alors que l’Europe, elle, s’élance alors à la conquête du monde.
A la fin de la décennie 2010, la Chine qui semble avoir consolidé son pouvoir à l’intérieur (?) et développé son économie, veut affirmer sa puissance dans le monde, et développer son influence tant vers les côtes de l’Afrique orientale que vers la rive Pacifique des Amériques, et cela au détriment de la liberté de circulation des autres Etats. Si son expansion vers l’Europe est principalement économique, elle a une dimension militaire marquée en Asie.
Alors qu’elle a signé la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer, la Chine cherche à s’«approprier» la mer de Chine méridionale en y créant une ZEE qui ampute celles du Vietnam, des Philippines, de Malaisie et d’Indonésie ( La Chine se considère comme une puissance économique en forte croissance qui n'a pas une ZEE correspondant à son statut. Mais la Cour permanente d'arbitrage de la Haye le 17 juillet 2016, a rejeté toutes les revendications chinoises de ZEE en mer de Chine du Sud) . Parmi les nombreux « incidents », un exemple : en avril 2019, Pékin juge « illégal » le passage de la frégate française Vendémiaire dans le détroit de Taïwan, réaction nouvelle à l’égard de la France qu’elle juge « alignée » sur les États-Unis ; et de plus la Chine estime que la France est « en Europe » et n’a rien à faire dans ces eaux lointaines. Si les États-Unis et leurs alliés intensifient « les passages innocents » de navires de guerre dans les eaux contestées, c’est au prix de risques d’incidents graves.
Quelques événements méritent de retenir notre attention :
- le gouvernement chinois conduit une opération massive et systématique de recherche dans l’est de l’océan Indien sur une zone de 500 000 km2, préparant sans doute des opérations militaires sous-marines (en liaison avec des ressources potentielles ? avec les câbles sous-marins,) ;
- Pékin a entrepris la cartographie des fonds marins ( Seuls 6% des fonds marins seraient connus, et pas seulement par les Chinois) afin de permettre le passage de sous-marins nucléaires ;
- Enfin le projet BRI n’est pas un projet régional, mais global, mondial, comprenant une augmentation de la flotte chinoise notamment. En 1995, la flotte chinoise n’est pas parmi les huit premières flottes mondiales ; en 2005, elle est parvenue au 2ème rang, et en 2020 au 1er rang en nombre de bâtiments (surface et sous-marins) : 360 contre 297 pour les États-Unis. Elle construit en quatre ans l’équivalent en tonnage de la flotte française ;
- Le projet BRI est un projet à long terme créant une ceinture économique allant des côtes chinoises jusqu’aux côtes orientales de l’Afrique. C’est la stratégie du « collier de perles » avec une dizaine de points clés (installations portuaires notamment) en utilisant la « diplomatie de la dette.
Si dans le Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité nationale en 2013, la France évoquait la possibilité d’un « partenariat global » avec la Chine, aujourd’hui dans la terminologie européenne, on parle d’un « rival systémique ».
Objectifs de la Chine : Prendre directement ou indirectement Taïwan et sécuriser ses approvisionnements énergétiques, en matières premières et en ressources énergétiques.
Il conviendra de noter la « préoccupation commune » de la Chine et de la Russie mentionnée à Pékin le 4 février (Déclaration en marge de l'ouverture des JO, le 4 février 2022) face à la formation de « l’alliance militaire AUKUS, et notamment la fabrication de sous-marins nucléaires, qui touche à des questions de stabilité stratégique ». Ceci s’ajoute aux exercices conjoints effectués en novembre 2021 par des vaisseaux des deux pays (Chine + Russie) dans le détroit japonais de Tsugaru.
NB : Il n’y a pas d’alliance formelle entre la Russie et la Chine (et même quelques désaccords notamment en Asie centrale… Les événements survenus au Kazakhstan en janvier 2022 ont suscité diverses interrogations sur un éventuel partage en zones d’influence). Notons aussi l’abstention chinoise lors des votes des 4 et 24 mars à l’ONU condamnant l’agression russe contre l’Ukraine. La guerre en Ukraine pourrait-elle « rebattre les cartes » en Indopacifique ?
En conclusion de ce premier point : Les acteurs dans cette zone et leur vision géopolitique :
- Les États qui ont une vision multilatérale et inclusive défendent un espace libre et ouvert pour tous (y compris la Chine) : France, RFA, Union européenne, Nouvelle-Zélande ;
- Les États qui ont une vision exclusive fondée sur la rivalité avec la Chine, les États-Unis et son alliée britannique, ont constitué une alliance politique, militaire et économique contre la Chine avec l’Australie (AUKUS) ;
- Les Non-Alignés se refusent à prendre parti : Inde, et États de l’ASEAN (à nuancer). Le ministre des Affaires étrangères de Singapour à Paris le 22 février : « Notre principe est de ne pas être forcé à choisir un camp ou un bloc, mais d’être ouvert et inclusif ». À noter : la Chine est son premier partenaire commercial, et les États-Unis sont les garant de sa sécurité maritime.
II – La France, État « riverain » des océans Indien et Pacifique du fait de ses collectivités et territoires
Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur des pôles et des enjeux maritimes, déclarait le 25 janvier : « Nous ne sommes pas un hexagone, mais un archipel » ( Les Outre-mer aux avant-postes, Maison de l'Océan, Paris 25 janvier 2022). Sept des treize territoires d’outre-mer français sont situés dans les océans Indien et Pacifique. Ces territoires dans la zone sont pour la France un atout précieux : elle n’est pas une puissance « étrangère », mais un État « voisin » dans les deux océans, il y a donc une cohérence à lier les deux espaces.
La stratégie française de l’Indopacifique ne se veut pas exclusivement militaire, même s’il est nécessaire de protéger nos « appuis stratégiques » : « montrer la présence », protéger les zones de pêche, défendre la liberté de navigation… D’où le renforcement de la capacité opérationnelle des forces navales, avec différents programmes (AVISMAR, POM, BRF, FDI) car l’éloignement ne doit pas être sous-estimé, et donc les contraintes qui pèsent sur les relations entre la métropole et les territoires insulaires éloignés.
D’où l’importance de compléter notre stratégie militaire par des engagements économiques et culturels avec des partenaires, comme l’Inde, le Japon… Et aussi de partager nos responsabilités au niveau européen.
1 – Les statuts des différents territoires français
Ces territoires, positionnés dans les deux océans, sont pour certains des collectivités politico-administratives comparables à celles de la métropole : La Réunion, Mayotte ; les autres ont des compétences de gouvernance très particulières : les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna et la Polynésie française.
Cas particuliers de Clipperton et des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) qui n’ont pas de population permanente.
La diversité des statuts est un héritage du passé. Mais l’accent est mis aujourd’hui sur les perspectives de coopération tournées vers l’avenir. Du fait de compétences constitutionnelles spécifiques, notamment en matière d’économie, d’environnement, voire de relations extérieures, ces territoires sont associés aux instances étatiques dans les organisations de coopération régionale. Ils sont impliqués dans les structures institutionnelles régionales aux côtés des représentants de l’État.
Trois exemples :
- A la Commission de l’océan Indien, c’est La Réunion (préfet et président du Conseil général) qui représente la France ;
- Le président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie et le président de celui de Polynésie française participent aux sommets biennaux des chefs d’État et de gouvernement océaniens (PALM) avec le Premier ministre du Japon ;
- Ils peuvent bénéficier de financements internationaux au même titre que des voisins indépendants, notamment en matière d’environnement, d’adaptation au changement climatique.
2– La stratégie française de l’Indopacifique et ses implications. Les réflexions françaises sur l’Indopacifique apparaissent à partir de 2016, et sont formalisées en 2018.( Stratégie de défense française dans l'Indopacifique, Ministère des Armées 2018, mis à jour 24/06/22)
La vision française de l’espace Indopacifique défendue par la France, celle d’un espace « libre et ouvert », a pour objectif d’assurer la sécurité maritime, de garantir la liberté de navigation et de survol en haute mer. En août 2018, lors de la Conférence des ambassadeurs, le président Macron a insisté sur cette vision multilatérale de l’espace, ne devant être dirigée contre aucun État, et notamment pas être dévoyée dans une lutte contre la Chine.
2A - 2018 est une année tournant avec un renforcement des liens bilatéraux avec les pays de la zone : Australie, Inde, Indonésie, prenant en compte la nouvelle position chinoise dans la zone. Parallèlement, des exercices militaires régionaux s’organisent avec de grands partenaires, notamment les quatre membres du QUAD (dialogue quadrilatéral de sécurité).
Le 3 juin 2018, lors du Forum annuel du Shangri-La Dialogue à Singapour entre les ministres de la défense de la zone indopacifique. Florence Parly aprésenté la position française.
À La Réunion, à l’occasion du Forum « Choose La Réunion » (Rencontre d'entrepreneurs destinée à promouvoir l'attractivité économique du territoire) le 23 octobre 2019, la stratégie Indopacifique de la France est précisée autour de quatre priorités :
- la résolution des différends par le dialogue,
- la contribution à la sûreté et à la sécurité de la zone et l’appui au renforcement de l’autonomie stratégique des Etats de la région,
- la lutte contre le changement climatique,
- la préservation de l’importance économique de cette région pour tous.
Cette région est au centre de tous les flux commerciaux internationaux, le lieu traversé par plus de quatre cent cinquante câbles sous-marins (98% des communications transitent aujourd'hui par cables sous-marins) , une réserve de ressources halieutiques et énergétiques considérable.
A différentes occasions, ces principes de base sont rappelés par les officiels français et mis en œuvre avec nos partenaires.
Quelques exemples :
Mars 2018 : Le Président Macron parle de l’Inde comme du « premier partenaire stratégique » de la France dans la région, un des premiers acheteurs d’armement français en Asie, même si l’Inde reste historiquement proche de la Russie (Elle s'est abstenue lors des votes à l'ONU du 4 et 24 mars contre l'agression russe en Ukraine) .
L’Inde est le seul membre du QUAD (États-Unis, Japon, Australie et Inde) à avoir une frontière commune (3 400 km) avec la Chine avec des confrontations régulières. Elle est l’un des premiers pays à avoir alerté contre la théorie du « collier de perles » chinois dans l’Océan indien et participe à des exercices dans l’Océan Indien avec la France.
Mai 2018 : À Sydney (Australie), est évoqué « l’axe Paris-New Delhi-Canberra » et la France est considérée comme un acteur majeur dans la région ( Ce ne fut pas toujours le cas ...Cf, au moment des essais nucléaires, au moment de la conférence sur le règlement de la question Cambodgienne...) . « Votre pays est de fait une puissance de l’Indopacifique », Kevin RUDD, ancien Premier ministre australien, expert des relations entre l’Occident et la Chine.
Mai 2019 : le porte-avions Charles-de Gaulle participe à l’exercice naval Varuna avec l’Inde dans l’océan Indien ; des manœuvres conjointes ont lieu dans le golfe du Bengale avec l’Australie, le Japon et les États-Unis, et le porte-avions fait escale à Singapour ; une frégate française fait escale à Ho Chi Minh-Ville.
2020 : la France est devenue « partenaire de développement » de l’ASEAN (Association des nations de l'Asie du Sud-Est). Elle a aussi adhéré à l’Association des États riverains de l’océan Indien.
Septembre 2020 : Dialogue trilatéral Australie-Inde-France.
2021 : Les marines européennes (France, Allemagne, Royaume-Uni et aussi Pays-Bas) ont envoyé d’importantes unités de combat dans la zone. En avril 2021, les Forces d’Auto-Défense (FAD) japonaises ont participé à l’exercice multinational Lapérouse dans le golfe du Bengale. Des manœuvres maritimes (ARC21) et des exercices amphibies sur le territoire japonais ont également eu lieu avec la France, l’Australie et les États-Unis. Le Japon soutient cette stratégie de coopération dans l’Indopacifique.
Les relations franco-indonésiennes sont anciennes (1961) ; puis co-présidence de la conférence de Paris sur le Cambodge en 1991. Depuis 2011, un partenariat stratégique a été conclu avec l’Indonésie qui est un « client régulier de l’industrie d’armement français » (deuxième derrière Singapour). En février 2021, rappel des positions communes au sujet du « respect du droit international dans un espace indopacifique libre et ouvert fondé sur un multilatéralisme efficace »( A noter que pour l'instant, l'Indonésie , 4ème pays le plus peuplé du monde, est réservée par rapport aux revendications chinoises en mer de Chine méridionale, et ne veut pas prendre parti, contrairement à la France et aux Etats-Unis qui rappellent fréquemment leur attachement au principe fondamental de la liberté de navigation) . Des accords de coopération sont signés en juin 2021, puis suivis le 10 février 2022, par une commande de quarante-deux avions de chasse Rafale et par un autre accord pour la fourniture « éventuelle » de deux sous-marins Scorpène (14 exemplaires de sous-marins d'attaque de ce type, à propulsion conventionnelle, ont déjà été vendus par Naval Group, dont six à l'Inde, deux à la Malaisie ( les autres au Brésil et au Chili) . « Hasard ou manœuvre ? » : quelques heures après la signature avec Mme Parly, le ministère de la Défense américain annonçait donner son accord à la vente de trente-six avions de chasse F15 Eagle II à l’Indonésie…
Au début de 2021, la France se trouvait ainsi au centre de relations croisées avec l’Inde et le Japon, l’Australie et les États-Unis, les partenaires du QUAD et de l’ASEAN, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Toutes les grandes puissances démocratiques se trouvaient ici impliquées, certaines ne voulant pas forcément être amenées à choisir entre Pékin et Washington. Mais l’alliance AUKUS ne créera-t-elle pas un nouveau contexte, alors que de nombreux pays dans la région sont plutôt à la recherche d’une position d’équilibre entre la Chine et les États-Unis°?
2B – Les changements de 2021 induits par la dénonciation du contrat français, conclu en 2016, pour la livraison de douze sous-marins à l’Australie et la signature de l’Alliance AUKUS entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis (15 septembre 2021).
La France doit prendre en compte cette nouvelle manifestation de l’antagonisme anglosaxon, déjà manifesté à la fin des années 2000 lorsqu’elle espérait entrer dans le club historique des Five-Eyes, coopération dans le domaine du renseignement entre l’Australie, le Canada, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, et le Royaume-Uni, créé en 1941, « revitalisé » dans les années 2000 pour lutter contre le terrorisme.
Autre événement aux conséquences notables : la décision de la Nouvelle-Calédonie de rester partie de la communauté française, décision issue de référendum du 12 décembre, joue un rôle très important pour la France, mais aussi pour l’Europe, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Il devient essentiel de renforcer la visibilité des marines concernées dans la zone face à la Chine.
En outre, la France a pris conscience de l’intérêt stratégique des fonds marins et du champ de compétition qu’ils représentent sur la scène internationale. Cf. « La stratégie pour la maîtrise des fonds marins » présentée à Brest par Florence Parly le 13 février 2022 : « Il s’agit de mieux connaître, mieux surveiller et mieux agir, dans une approche globale et internationale avec des moyens qui ne sont pas au niveau de ceux de nos partenaires ou de nos adversaires ». Or différents incidents montrent que les fonds marins sont aujourd’hui le lieu d’opérations préoccupantes (ruptures de câbles, pillage des ressources…).
Aujourd’hui, il parait évident que la France - et l’Europe - ont intérêt à développer des relations de coopération dans cette région en raison de la place prépondérante de la mer et de l’Asie sur la scène internationale. D’où la nécessité de défendre la liberté de navigation et la préservation des biens communs (biodiversité, sécurité maritime…).
La France bénéficie d’atouts dans la région et a développé une stratégie indopacifique qui est aujourd’hui plus visible, tout en espérant présenter une voie « non-alignée ». En outre, notre industrie de défense présente à nos partenaires des offres de haut niveau, et des offres de formation, incluant un « partenariat stratégique » établissant une relation de confiance, qui est souvent une alternative à l’offre du « tout-américain ».
À partir de là, une stratégie « européenne » peut être envisagée comme complémentaire en coordination avec la stratégie française.
3 - Le relai européen : stratégie européenne et partenariats régionaux.
En 2017, le président Macron déclarait : « L’Europe est le niveau approprié pour recouvrer notre pleine souveraineté dans des domaines qui ne relèvent plus du seul champ national, car je veux d’une Europe qui soit un continent aux dimensions des puissances américaine et chinoise ». Les territoires insulaires français sont un atout pour la France, mais aussi pour l’UE, et donc pour tous ses États membres.
Dans le cadre de l’OTAN, les forces européennes, et donc les marines, ont eu à agir ensemble, et à mettre en place des procédures et des normes permettant une grande interopérabilité (ravitaillement, systèmes de communication…). La RFA et les Pays-Bas se sont aussi dotés d’une stratégie indopacifique.
Depuis le Brexit, la France est seule en mesure de maintenir, voire d’augmenter, une présence militaire permanente dans la zone Indopacifique. Mais elle souhaite entraîner ses partenaires européens. Un soutien, renfort européen est-il utile ? Indispensable ?
Le 16 avril 2021, le Conseil européen a publié « la stratégie européenne pour la coopération dans l’Indopacifique » ( Conclusion sur une stratégie de l'UE pour la coopération dans la région de l'Indopacifique, Bruxelles 16 avril 2021) . À noter que cette annonce s’est « télescopée » avec l’annonce de la signature de l’AUKUS le 15 septembre 2021.
Si l’Europe ne mentionne pas son opposition à la Chine (contrairement à la position américaine), elle précise « sa réticence à approfondir des échanges avec des États qui ne respectent pas ses valeurs » et insiste sur la nécessité de « renforcer ses partenariats avec les Etats du sud-est de l’Asie (ASEAN) pour préserver la liberté de navigation et pour lutter contre la territorialisation des mers » (Même si l'UE est bien consciente que certains Etats - Laos, Cambodge- sont sous l'influence chinoise...) . L’UE a nommé un « envoyé spécial pour l’Indopacifique » le 1er septembre 2021.
La région indopacifique revêt une importance stratégique croissante pour l’Union européenne, les deux régions sont en étroite corrélation :
- l’UE est le premier investisseur et principal partenaire de coopération au développement dans la région indopacifique,
- l’UE est un des plus grands partenaires commerciaux de la zone,
- les deux régions couvrent 70 % du commerce mondial des biens et services.
Le développement agressif de la puissance chinoise, et les rivalités sino-américaines (économiques, militaires, technologiques…) ont été ravivées par le pacte AUKUS en septembre 2021. Dans ce contexte, un rapprochement UE-ASEAN pour un projet régional de coopération commun, autonome évoqué par Josep Borrell à Djakarta en juin 2021, prend tout son sens et vient illustrer le partenariat stratégique signé en 2020 après quarante ans d’échanges. La vitalité économique des pays de l’ASEAN est importante pour l’UE. L’Inde et le Japon pourraient aussi se rapprocher des positions européennes.
Les principaux éléments de la stratégie de l’UE pour la région indopacifique :
- objectif d’une zone libre et ouverte à tous dans le cadre d’un ordre international fondé sur des règles et des conditions de concurrence équitable et d’un environnement ouvert et juste pour le commerce, l’investissement, la lutte contre le changement climatique et le soutien à la connectivité à l’UE,
- en même temps, approfondissement de ses engagements avec ses partenaires dans sept domaines spécifiques : prospérité durable et inclusive, transition écologique, gouvernance des océans, gouvernance et partenariat numérique, connectivité, sécurité et défense, sécurité humaine.
Le projet de « Boussole stratégique », équivalent européen du livre Blanc de la Défense, a été adopté, après quatre versions successives, le 21 mars par les ministres européens des Affaires étrangères et de la Défense. Il vise notamment à renforcer la coopération des marines ici comme sur le reste de la planète, « dans les endroits stratégiques du globe, sur l’ensemble des océans » afin de mettre en œuvre une politique commune et concertée. Il s’agit de préserver la libre circulation et la sécurité maritime, de lutter contre la piraterie. Cette « boussole stratégique » sera à la fois une stratégie et un plan d’action pour les cinq à dix ans à venir. Reste pour les Européens à accorder au mieux leurs « nuances » du concept Indo-Pacifique, entre l’approche plutôt stratégico-militaire de la France (liée aussi à ses contrats d’armement) et une vision plus économique et commerciale de l’Allemagne. La Boussole mentionne aussi la nécessité de renforcer le dialogue et les exercices conjoints avec d’autres États dans le monde.
Des défis communs ont été mis en évidence entre les deux régions, UE et Indopacifique en matière d’intégration économique et de changement climatique. Que sera le nouveau projet européen « Global Gateway », parfois présenté comme un concurrent du BRI chinois ? Avec ses enjeux globaux liés à la protection de l’environnement et aux questions de sécurité, il serait courtisé par la Chine pour un partenariat ? une coopération avec son projet BRI ? Eviter une alliance Moscou-Pékin dans cette zone est-il encore possible ?
Conclusion
Sept des dix premiers ports mondiaux sont en Chine. Le golfe Persique fournit 40 % des exportations de pétrole et 80 % d’entre elles partent vers l’Asie ( Cf Atlas stratégie. Fondation méditerranéenne d'Etudes stratégiques . 2022) . L’importance de la voie maritime mondiale indopacifique n’a fait que croître au XXème siècle alors que le commerce transatlantique est devenu moins prééminent.
Pour la France, c’est un enjeu économique (sécurité des approvisionnements et des échanges commerciaux) et de souveraineté (protection des ZEE et lutte contre les activités illicites). L’originalité de la position française dans cette zone est liée à sa situation « d’État riverain » ( Le Royaume Uni est riverain avec les îles Pitcairn ,à l'ouest de l'Australie.Il se positionne comme acteur mondial dans sa "stratégie 2020", mais il n'est plus membre de l'UE). L’implication de l’UE, au-delà des relations bilatérales basées sur des valeurs communes, offre en outre une troisième voie aux États de la région pour éviter de choisir un alignement sur Pékin ou sur Washington, sujet à l’ordre du jour de tous les dialogues. David Panuelo, président de la Fédération des États de Micronésie, soulignait le 10 mars dernier que l’Océanie avait voté de manière unanime la résolution contre la Russie aux côtés de l’UE lors du vote à l’ONU le 2 mars 2022.
Le 22 février 2022, un Forum pour la coopération en Indopacifique dans le cadre de la présidence française de l’UE a réuni à Paris les ministres des Affaires étrangères des vingt- sept et ceux de trente États de cette zone.
Les États-Unis et la Chine n’étaient pas invités. Au nom d’une « autonomie stratégique », la réunion voulait être préservée des rivalités entre les deux puissances, Chine et États-Unis, même si l’objectif non avoué est sans doute de contribuer à une alternative à l’engagement chinois dans la zone.
Hélène Mazeran
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