Les Etats Unis de Joe Biden...
Visioconférence organisée par la Fondation Robert Schuman le du 20 janvier 2021.
avec Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman,
Simon Serfaty, professeur émérite de l’université de Norfolk et
Pierre Vimont, ambassadeur de France, ancien ambassadeur aux États-Unis.
I - Les États-Unis
Donald Trump laisse derrière lui un pays divisé en deux nations. L’intrusion violente le 6 janvier du Capitole par des émeutiers est un événement historique dont la portée est similaire à celle des 22 novembre 1963 et du 11 septembre 2001. L’union des États-Unis est « cassée » en deux. Un pays, deux nations qui ne s’aiment pas. L’idée qu’on a des États-Unis depuis Tocqueville a été « violée » par ce putsch. La grande majorité des électeurs (74 millions) de Donald Trump croit que l’élection du 3 novembre a été volée. La réconciliation du pays sera difficile. Le parti républicain est également coupé en deux. Si Donald Trump devait connaître des ennuis avec la justice, ce parti devra choisir un autre leader.
Pour Simon Serfaty, depuis vingt ans, les États-Unis ont connu une profonde réorganisation démographique et la trajectoire économique du pays a considérablement aggravé les inégalités tout en portant la dette de ce pays à un niveau particulièrement élevé. Il considère enfin que la seule Constitution que ce pays ait connu devrait être réformée : révision d’un collège électoral désuet, réévaluation du rôle de la Cour Suprême. Il estime que Joe Biden a les qualités requises pour relever ces défis. Il a une très grande expérience politique et s’est entouré d’une équipe solide et très expérimentée en politique étrangère : Anthony Blinken, Jake Sullivan etc.
Son mandat se décomposera en deux fois deux ans avec les élections législatives de 2022 au milieu de celui-ci. Il devrait pratiquer une politique de centre droit, puis de centre gauche à l’instar de Barack Obama, pour restaurer l’unité du pays. Restaurer cette unité sera sa priorité immédiate (ce fut très clair dans le discours qu’il a prononcé après avoir prêté serment).
Pour Pierre Vimont, le trumpisme devrait survivre. Si Donald Trump a exacerbé le populisme en parlant de carnage, celui-ci est une tendance de fond constatée dans un livre intitulé : « Qu’est qui se passe au Kansas ? ». La candidature de Sarah Palin à la vice-présidence et le « tea party » illustrent cette phénomène. Barack Obama a essayé, sans y réussir, de combler le fossé entre des élites qui ont le sentiment de ne plus être écoutées à Washington. Il remarque cependant que les institutions ont fait preuve de résilience tout en estimant que Joe Biden devra donner la priorité à son agenda intérieur : lutte contre la pandémie, relance économique etc. Mais contrairement à Roosevelt, qui a pris son temps pour décider et mettre en œuvre son « new deal », Joe Biden devra agir vite pour panser des blessures qui sont profondes.
II - Les États-Unis et le monde
Depuis 2016, le monde a changé : montée en puissance de la Chine, évolution de la Russie de Poutine, émergence de l’Inde, de l’Indonésie. Membre de l’Otan, la Turquie est devenue turbulente et a acheté des armes stratégiques à la Russie (acquisition du système S-400). Sans être en déclin, les Etats-Unis sont moins hégémoniques dans un monde multipolaire.
Pierre Vimont considère qu’ils ont les moyens de revenir au premier plan. Il y aura un héritage Trump. Il a pris des initiatives qui n’ont pas abouti et il a brisé des tabous. Joe Biden devra les poursuivre. Beaucoup mieux entouré que son prédécesseur, il devrait pouvoir mener à bien ce qui a été commencé. La configuration géopolitique a beaucoup changé au Moyen-Orient avec les accords d’Abraham. À la politique provocante et limitée à des sanctions tarifaires avec la Chine devrait se substituer une politique « sans provocation et sans indulgence ». Échec de ses tentatives de négocier avec la Corée du Nord, avec laquelle il n’y a toujours pas de traité de paix, mais reprise d’un dialogue interrompue depuis longtemps qu’il faudrait poursuivre. Avec la Russie, il serait sage d’oublier la Crimée et de dialoguer avec elle sur l’Ukraine et le désarmement nucléaire. Le dossier iranien sera une priorité de la nouvelle administration.
Le nouveau Secrétaire d’État, Anthony Blixen, a déclaré devant le Sénat que l’accord de Vienne (2015) devrait être étendu aux missiles balistiques. Les alliés des États-Unis dans la région : l’Arabie saoudite et surtout Israël seront très vigilants. Depuis Jimmy Carter, les États-Unis ne sont pas entrés en guerre et Donald Trump ne s’est pas lancé dans une telle aventure. La nouvelle administration poursuivra-t-elle le retrait, engagé par Barack Obama, des soldats américains dans les « conflits sans fin ? »
III - Les États-Unis et l’Europe
En Europe, la relation avec les États-Unis oppose les tenants de l’alliance atlantique et ceux qui plaident pour une Europe plus souveraine, plus stratégiquement autonome, d’une Europe « first ». Un compromis entre ces deux positions sera-t-il possible ? Pour Simon Serfaty, il y a une complémentarité entre les Etats-Unis, qui ne peuvent pas tout faire, et l’Europe.
Pierre Vimont s’est fait l’écho des déclarations faîtes le matin du 20 janvier 2021 au Parlement européen par les présidents de deux institutions européennes, Charles Michel et Ursula von der Leyen : l’Europe a « de nouveau un ami » à la Maison-Blanche. Ils ont invité Joe Biden à une réunion avec les dirigeants de l'UE afin de « construire ensemble un pacte fondateur nouveau » pour les relations transatlantiques. Pierre Vimont estime que les européens « devront apprendre à parler européen » tout en soulignant que la prise de décision en Europe demandait du temps. Il remarque cependant que l’idée d’une Europe plus autonome a progressé. Pour aller plus loin, il faudra plus de moyens, d’instruments et procéder à des changements institutionnels. Joe Biden pourrait laisser plus de place à l’Europe dans l’Otan, mais il devrait lui demander d’augmenter sa contribution financière.
IV - Le multilatéralisme
Moins hégémoniques que dans le passé, les États-Unis de Joe Biden donneront à nouveau une place au multilatéralisme. Mais, la gestion des affaires du monde ne sera pas efficace sans modifications des institutions de 1945 : Conseil de Sécurité avec ses cinq membres permanents détenant un droit de veto, FMI, OMC, etc. Elles sont à bout de souffle. Dans un monde qui s’est durci, un retour au multilatéralisme est tout à fait souhaitable. Ce retour ne se fera pas sans une adaptation de ces institutions au monde du XXIème siècle.
Notes de Christian CASPER
NB : Depuis le 20 janvier, la nouvelle administration a proposé à la Russie de reconduire pour cinq ans le traité de désarmement nucléaire New Start qui devrait être reconduit jusqu’en 2026 ; elle a signifié au gouvernement légal afghan sa volonté de revoir l’accord signé en février 2020 qui prévoit le retrait total des forces américaines d’ici à mi-2021 en échange de l’engagement des insurgés à ne pas laisser des groupes terroristes agir depuis les zones qu’ils contrôlent, les États-Unis voulant « évaluer » le respect par les talibans de leurs engagements.
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