Chine les voies de la puissance
Par Denise Osmont d’Amilly,
conférence du 9 janvier 2020
Lorsque Deng Xiaoping engagea la Chine en 1978 dans l’ouverture économique puis souhaita la voir rejoindre l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les Occidentaux, observant d’un oeil favorable le processus en cours, ont imaginé que cette ouverture économique amènerait une possible libéralisation politique. En 2001, l’OMC accorda à la Chine un délai de quinze ans pour se mettre en règle avec le statut d’économie de marché. Ce ne fut pas le cas mais, aujourd’hui, Xi Jinping place la Chine en concurrente et en rivale de l’Union européenne (UE). Comment en est-on arrivé là en soixante-dix ans ? Est-ce une simple étape de l’histoire millénaire de la Chine ?
Les tropismes chinois millénaires
Les dynasties Tang et Sun réalisèrent l’unité du pays en faisant appel au nationalisme. La centralisation du pouvoir et la création d’un réseau de fonctionnaires relayant les directives de l’empereur furent l’oeuvre des Ming. La puissance fut établie par les Qing. La vertu et la loi sont mises en avant, au XVIIIème siècle la Chine est la première puissance mondiale. Depuis 1840 et l’intervention des puissances occidentales, il y a eu un interrègne entre la dynastie des Qing et la dynastie communiste instituée par Mao Tsé Toung. Depuis soixante-dix ans, par des chemins différents, Mao Tsé Toung, Deng Xiaoping et Xi Jinping revisitent l’idéologie marxiste.
La voie politique : Mao Tsé Toung
Le 1er octobre 1949, Mao proclame la République populaire de Chine (RPC). Tchang Kai chek se réfugie à Formose, aujourd’hui Taïwan, toujours séparée de la Chine. Le « Grand timonier » calque la Chine sur le modèle de l’URSS de Staline. Ses utopies sont ravageuses : le Grand Bond en avant, la Révolution culturelle, etc. L’armée doit ramener les jeunes urbains dans les champs. À l’époque, Xi Jinping, jeune étudiant, passe sept ans à la campagne ! Les résultats ne sont pas brillants : la collectivisation des terres et la famine qui en suit entraînent des dizaines de millions de morts, l’économie du pays est totalement désorganisée. À la mort de Mao, en septembre 1976, son épouse et la « Bande des quatre » tentent, en vain, de garder le pouvoir.
La voie de l’économie : Deng Xiaoping
Promu chef de l’État en 1978, Deng Xiaoping, le « Petit timonier » (il ne mesure que 1,48 mètre), est intelligent et adroit. Il conçoit « l’économie socialiste de marché » et l’applique avec les quatre modernisations, dont la décollectivisation et la création de zones économiques spéciales qui accueillent des entreprises asiatiques et même taïwanaises. Deng Xiaoping limite la présidence de la RPC à deux mandats de cinq ans. Son règne reste entaché par sa décision d’envoyer l’armée sur la place Tiananmen en 1986.
Des résultats étonnants. Entre 1992 et 2012, c’est le décollage de la Chine. Devenue l’atelier du monde, elle voit son PIB croître de 10 % par an. Elle devient un modèle d’industrialisation et d’exportation. Les investissements étrangers affluent, attirés par le faible coût de la main d’oeuvre. Les entreprises étrangères doivent s’associer avec des structures chinoises. L’importante production, ne trouvant pas de débouchés sur place du fait de la pauvreté des Chinois, doit être exportée. La faiblesse du yuan favorise les fortes exportations. Les investissements sont dirigés vers les infrastructures et l’immobilier. L’urbanisation progresse. La Chine se tourne vers l’international. Aujourd’hui, Apple fait monter ses appareils en Chine… dans une usine taïwanaise !
Quelques points négatifs. C’est d’abord l’absence d’évolution politique avec, pour première conséquence, les difficultés du processus de succession à la tête de l’État. Ensuite, si 800 millions de Chinois sortent de la pauvreté et si une classe moyenne qui s’occidentalise apparait, d’énormes inégalités personnelles et régionales se développent. Des inégalités monstrueuses existent et perdurent entre les riches régions côtières et l’intérieur (voir la carte ci-dessus). La corruption, un mal chinois, est toujours importante. Les problèmes de l’écologie sont nombreux. Les excédents de production, surtout dans l’industrie lourde, sont importants. Au bilan, il y a un climat difficile, de suspicion dans le pays.
La voie de la puissance : Xi Jinping
Xi Jinping est l’un des « princes rouges », l’un de ces fils des compagnons de Mao, fondateurs de la RPC. Son père a été exclu du PCC sous Mao. Il entre au PCC après sept candidatures et progresse ensuite assez rapidement. Il gouverne une province moyenne face à Taïwan. En novembre 2012, le 18ème Congrès du PCC désigne Xi Jinping comme secrétaire général du Parti. En décembre, il est promu président de la Commission centrale militaire de l’Armée de libération nationale (ALN).
En mars 2013, il est élu président de la République Populaire de Chine. En mars 2017, le 19ème Congrès du PCC fait renaître le rêve chinois de la renaissance de la Chine. Il décide également la fin de la limite présidentielle à deux mandats de cinq ans, voulue par Deng Xiaoping. L’objectif est de conduire la Chine au premier rang mondial en 2049 pour le centenaire de la République. La Chine est sous contrôle !
Les visions de Xi Jinping
Les objectifs de Xi Jinping s’affichent clairement dans ses discours. Pour lui, il s’agit d’ouvrir « de larges perspectives au socialisme à la chinoise », de pratiquer « l’édification intégrale de la société de moyenne aisance », « d’approfondir la réforme… Faire éprouver aux masses populaires davantage de satisfaction », « d’accélérer l’édification de l’État de droit socialiste » et de « diriger rigoureusement le Parti ». Cela implique de « nouveaux concepts de développement » et une « nouvelle normalité économique ». Il faut « raffermir la confiance dans la démocratie socialiste » et « dans la culture », « améliorer le bien-être du peuple » et « édifier une civilisation écologique » pour construire « Une belle Chine ». Par ailleurs, il faut « Promouvoir constamment l’édification d’une armée puissante » et « perpétuer la réussite d’un pays à deux systèmes » à Macao et à Hong Kong. (NDLR : Les citations en italiques sont extraites du sommaire de l’ouvrage en français qui regroupe les discours de Xi Jinping).
Leur mise en oeuvre…
Le contrôle politique et social entraîne des mesures de censure, des arrestations, la lutte contre la corruption, une nécessité en Chine, mais qui permet d’écarter facilement des opposants. Le contrôle s’applique au PPC, dont 10 des 90 millions sont des cadres qualifiés de « bons à rien ». Le contrôle dans l’armée permet de remplacer de nombreux responsables sous couvert souvent de délits de corruption. Le contrôle de la population est impressionnant avec le début de l’application du « crédit social » dans le cadre du projet « clarté de la neige » grâce aux nouvelles technologies (caméras et reconnaissance faciale). Le contrôle total doit s’appliquer en 2020. Tout manquement est sanctionné par l’inscription sur une liste noire ce qui entraîne diverses interdictions, comme celles de pouvoir prendre le TGV ou les trains en 1ère classe.
Le contrôle de l’économie. C’est d’abord l’application du « crédit social » aux entreprises et mise en place d’une forme d’étatisme radical. La politique monétaire oscille entre Stop (objectif financier) et Go (objectif social) mais il y a une contradiction qui entraîne une résistance des structures. Le freinage des investissements et des exportations n’est pas relayé par la consommation. La baisse du PIB entraîne une relance budgétaire au profit des infrastructures TGV et l’immobilier.
Les stratégies avec l’extérieur. Xi Jinping veut « développer une diplomatie de grand pays à la chinoise », personne n’est oublié ! Il s’agit de « mettre en place un partenariat Asie-Pacifique », « des partenariats sino-européens », « une coopération gagnant-gagnant Chine-Afrique », de développer « une convergence pour ls grands renouveaux nationaux chinois et arabe », « d’améliorer les relations sino-russes », de poursuivre la « coopération des BRICS », sans oublier « de mener à bien les relations sino-américaines ». Le « Projet la Ceinture et la Route » (Belt and road initiative, BRI) n’est pas oublié.
Dans les faits, l’objectif est le rattrapage des États-Unis, il y a déjà une quasi-égalité de PIB. La Chine est devenue le premier exportateur mondial et résiste aux taxes américaines. Le progrès technologique est un objectif, la Chine se veut le laboratoire du monde. Autre objectif, la modernisation de l’ALN, en particulier de la Marine avec des visées géostratégiques en mer de Chine. À l’Organisation de Nations Unies, la Chine a pris une place grandissante. En Europe, elle a initié des forums, les 16 +1, qui rassemblent seize pays de l’Europe orientale et la Chine. Par ailleurs, elle développe ses routes de la soie à travers de nombreux pays. La Chine prête beaucoup d’argent (à 7 %) aux pays qui en ont besoin pour leurs infrastructures mais comme ils ne peuvent rembourser, les Chinois deviennent propriétaires des pour 99 ans. Cette attitude entraîne la méfiance des États.
Un État de droit socialiste. Les cadres dirigeants doivent se donner en exemple dans le respect, l’étude, l’observation et l’application de la loi. Il faut insister sur l’association de la gouvernance de l’État par la loi et la vertu et élever notre conscience de l’alignement sur le Comité central du Parti.
Le PCC doit observer la discipline et les règles de conduite. Il faut renforcer inébranlablement la lutte pour l’intégrité dans les rangs du Parti et la lutte contre la corruption. Cela implique la mise en place d’un système national de supervision des tournées d’inspection et faire jouer son rôle d’arme tranchante dans l’application d’une discipline rigoureuse dans les rangs du Parti. Poursuivre la direction du Parti et renforcer son édification constituent un avantage particulier des entreprises d’État.
Une communauté de destin pour l’humanité. L’objectif est de « Bâtir, main dans la main, un nouveau partenariat de coopération gagnant-gagnant et construire ensemble une communauté de destin pour l’humanité », de « Construire un système de gouvernance mondiale d’Internet multilatéral, démocratique et transparent. »
Conclusion
En réalité, il y a des obstacles aux visions de Xi Jinping. Économiquement, la Chine reste un pays intermédiaire, un peu comme le Brésil. Elle a réussi grâce aux États-Unis qui consomment ses produits. Le rattrapage économique avec les États-Unis est incertain.
La recherche chinoise n’a rien à voir avec celle de la Corée du Sud ou du Japon, elle ne produit pas d’invention de rupture. La recherche chinoise se gausse du nombre de ses chercheurs, en lien avec sa forte population ; du nombre des brevets déposés, le plus souvent des brevets d’adaptation et non d’innovation.
À sa périphérie, la Chine doit user de la force avec les Ouïgours et les Tibétains. À l’intérieur, il semble que bientôt le culte des ancêtres devrait être rejeté puis interdit. L’avenir est incertain.
Notes de François TOUSSAINT
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