Visite ARRI à Varsovie du 21 au 24 mai 2025

Les mutations d'un Etat d'Europe orientale...

La Pologne se trouve aux avant-postes de l'Europe en matière de défense. Frontalière de l'Ukraine, de la Biélorussie et de la Russie même par l'enclave de Kaliningrad, de la Lituanie avec laquelle elle a formé un même État pendant plusieurs siècles, elle ressent plus que tout autre la menace russe, puisque la Russie a participé à son effacement de la carte politique européenne de la fin du XVIIIème siècle à la Première Guerre mondiale, et l'a reprise après la Seconde guerre mondiale dans les rets de l'empire soviétique. Si tous les Polonais, quel que soit leur bord politique, sont d'accord sur la nécessité d'un réarmement permettant de résister à toute éventuelle attaque tant que le régime russe constituera une menace, ils sont en revanche divisés quant au modèle de société qu'ils souhaitent pour leur pays et l'élection présidentielle en cours en est l'illustration. C'est pour mieux appréhender les facteurs de cette hésitation qu'ARRI a organisé un voyage de quatre jours à Varsovie.

Les entretiens que nous avons pu mener décrivent une société qui a tiré le meilleur profit de son intégration dans l'économie de marché et dans l'Union européenne. Elle se trouve actuellement devant le Portugal en termes de PIB par habitant, celui-ci étant passé de 50 % du PIB moyen par habitant de l'UE en 1992, à 80 % aujourd'hui.

Mais cette richesse nouvelle s'est accompagnée d'une baisse importante du taux de fécondité, passé de 2,1 enfants par femmes au début des années 1990 à 1,2 actuellement. Cet élément, ajouté à une forte émigration économique, confronte la Pologne à de graves difficultés de recrutement, qu'il s'agisse de faire fonctionner son économie ou encore d'assurer sa défense. Dans le même temps, la société polonaise semble largement réticente face à toute immigration, attachée à une homogénéité culturelle considérée historiquement comme une garantie de sa résilience à travers les vicissitudes d'une histoire complexe. Sans doute l’agression russe en Ukraine l'a-t-elle conduite à accueillir près de deux millions de réfugiés ukrainiens, qui ont contribué à pallier un temps ces difficultés démographiques, mais ne suffiront pas sur le long terme.

Au plan politique, le pays reste partagé entre des populations urbaines ouvertes à l'intégration européenne, qui ont emporté les dernières élections parlementaires de 2023 à travers la Coalition civique menée par le Premier ministre Donald Tusk, et des populations plus âgées et rurales qui continuent de soutenir le parti conservateur et eurosceptique Droit et justice (PIS). À côté de ces deux groupements politiques qui s'opposent depuis de nombreuses années, plusieurs formations tentent de se faire une place en exploitant des thématiques populistes et nationalistes auprès des habitants des alentours des grandes villes, créant une certaine instabilité politique. Celle-ci caractérisera la vie politique de la Pologne pour les années qui viennent, le candidat du PIS, Karol Nawrocki ayant finalement emporté l'élection présidentielle le 1er juin 2025 et prolongeant la cohabitation entre un président conservateur eurosceptique doté d'un pouvoir de véto et un Premier ministre libéral et proeuropéen quelque peu entravé par cette situation.

En matière de défense enfin, la Pologne reste fondamentalement atlantiste et considère que les gesticulations du président Trump n'aboutiront pas à un véritable renversement d'alliance de la part des États-Unis. Les achats d'armes importants auxquels le pays a procédé récemment auprès de ces derniers visent ainsi à cultiver cette alliance, tout autant qu'à reconstituer les capacités militaires de la Pologne. Il reste que ces achats supposent une structure militaire qui reste largement à développer.

David Capitant,

Professeur de droit public à l'Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne

Président d'ARRI